Le compromis budgétaire issu du dernier Conseil européen est un mauvais signal pour la confiance économique, et un recul pour l'avenir de l'Europe, à moins que le Parlement européen ne réussisse à s'en saisir pour faire rebondir l'union politique. C’est ce que tente de montrer cette note de Terra Nova
Le cadre financier pluriannuel adopté à l'issue du Conseil du 7 février a défini l'enveloppe dont disposera l'Union européenne entre 2014 et 2020. D'un montant total de 960 milliards d'euros pour les crédits d'engagement, ce budget est en diminution d'environ 4,5 % par rapport à la période 2007-2013 et il déçoit par ses arbitrages de dépenses. La diminution des dépenses de recherche, d'innovation et d'investissement dans le secteur des infrastructures de transport, de l'énergie et du numérique montre que l'UE ne croit pas en sa stratégie de croissance pour 2020. Pourtant, les besoins d'investissements dans les infrastructures européennes, en diminution depuis une décennie, sont stratégiques.
A titre d'exemple, la réalisation du réseau transeuropéen de transport intégré et multimodal, planifié par le Livre blanc de 2011 sur la politique des transports à l'horizon 2050, est capitale pour garantir des réseaux de transport européens durables, développer le marché intérieur et stimuler la croissance européenne.
La solidarité est également la grande perdante de l'arbitrage : le Fonds d'ajustement à la mondialisation a été divisé par trois, l'aide aux plus démunis divisée par deux, le Fonds de solidarité de l'UE divisé par deux aussi, en un mot : les politiques d'inclusion sociale en seront les premières victimes.
Que s'est-il passé ? Deux orientations se sont affrontées : d'un côté, les partisans de la rigueur et d'un gel du budget conduits par la Grande-Bretagne, de l'autre, les défenseurs d'un budget de croissance et de solidarité, dont la France. Après avoir obtenu, en juin 2012, un pacte de croissance, la France ne pouvait se satisfaire d'un « pacte de déflation ».
Le résultat du Conseil a pu être présenté comme une victoire personnelle de David Cameron, mais elle est celle d'une majorité d'Etats membres conservateurs. D'ailleurs, fin 2010, les plus puissants pays contributeurs nets réclamaient déjà un gel du budget européen : à l'époque, la France de Nicolas Sarkozy s'y était engagée avec l'Allemagne, le Royaume-Uni, les Pays-Bas et la Finlande. Le Royaume-Uni a trouvé en l'Allemagne un partenaire compréhensif sur la voie de la réduction de la dépense européenne, suivi par les Pays-Bas, la Suède et la Finlande.
De son côté, la France a pu, avec notamment l'Espagne, l'Italie et la Grèce, limiter certaines coupes et préserver les fonds structurels, sans pouvoir rassembler un groupe d'Etats membres suffisamment important pour aller plus loin.
Si le poids relatif du budget européen dans l'économie européenne est assez dérisoire (1 % du PIB européen), le compromis issu du Conseil est un recul pour l'Europe politique et oblitère les chances de rebond de l'économie européenne. Nous ne parviendrons pas à relancer la croissance sans renforcer l'intégration politique. En période de crise et de ressources publiques rares, il faut mutualiser les efforts budgétaires pour donner aux politiques de relance européenne un impact réel sur l'économie.
Tout n'est pas perdu pourtant. L'intervention de F. Hollande devant le Parlement a pu agir comme un élément de mobilisation des défenseurs des intérêts des Européens contre l'étroitesse de vue des conservateurs, et donner ainsi un cap à ceux qui voudraient montrer la voie vers l'approfondissement de l'union politique dont nous avons tant besoin pour sortir de la crise.
En vertu des nouvelles règles issues du traité de Lisbonne, le Parlement européen peut refuser ce traité sans ouvrir de crise : en cas de rejet, le précédent budget, moins rigoureux, s'appliquera alors. Le président du Parlement européen, Martin Schulz, a dit son intention de rejeter ce texte lors du vote prévu en juillet. C'est la première fois que le Parlement européen réagit aussi frontalement à un accord obtenu douloureusement au Conseil. Il faut soutenir son initiative et donner ainsi aux députés européens l'occasion de montrer qu'ils savent promouvoir l'intérêt général européen et qu'ils ne se contentent pas de défendre des intérêts nationaux.
Il leur appartiendra alors de se saisir de ce vote pour demander l'adoption d'un budget européen doté de ressources propres avec une fiscalité dédiée lui permettant d'adopter une stratégie économique d'ampleur et, par exemple, d'émettre des « project bonds » européens.
L'Europe a besoin d'incarnation politique : le Parlement aurait, en votant contre ce budget, une occasion historique. Ce choix ferait date dans l'histoire naissante de l'union politique européenne.
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