« Les pensées qui mènent le monde viennent sur des pattes de colombe », soulignait Nietzsche, D’où l’attention qu’il nous faut porter à l’évolution de certaines pratiques. Les actes liés à la fin de la vie sanctionnent brutalement, tel un miroir, la véritable image que toute une société renvoie d’elle-même. Leur diversité dans le monde en atteste!
Le jour des morts, 2 novembre, revêt encore une signification comme en témoigne la fréquentation des cimetières, à Déville lès Rouen comme partout en France, et pourtant la crémation se développe rapidement au point de devenir un jour la nouvelle norme ? Se faire inhumer ou recourir à la crémation, pratique naguère marginale, constitue un révélateur de première importance.
Damien Le Guay distingue la crémation rituelle, en vigueur dans des cultures japonaises ou indiennes, par exemple, de sa réplique occidentale, qualifiée de crémation nihiliste – et qui est précisément l’envers d’une démarche à perspective religieuse. De quoi la crémation est-elle le nom? Car, avant l’acte, il y a le désir.
Dans "la mort en cendres" (Cerf), il analyse cette nouvelle pratique funéraire. Il analyse les répercussions de la crémation sur le deuil, mot qui signifie à la fois « douleur » et « duel », ce dernier mot justifiant une explication particulière : il existe une belle manière de mourir, aristocratique, héroïque, fondée sur la lutte, même perdue d’avance. Damien Le Guay l’oppose à une forme de fuite et de renoncement : « nous désirons que la mort vienne nous voler notre mort », écrit-il.
Le duel, c’est aussi la séparation qui doit absolument exister à ses yeux entre l’espace des vivants et celui des morts. La mise en bière puis en terre n’a donc pas la même portée que la réduction dans une urne, laquelle traduit une forme de « délocalisation de la mort », qui n’est pas sans interférer avec l’équilibre psychique des vivants. Au-delà de la pratique funéraire, cette mobilité induite par la crémation révèle aussi un arrachement de nos contemporains à la terre, au village, au clocher. « Ce qui autrefois nous tenait, ne nous tient plus »(Zygmunt Baumann).
Depuis cinquante ans nous avons quitté une « mort traditionnelle », qui a prévalu pendant au moins mille ans, avec une organisation religieuse et des « pompes funèbres » pour une « nouvelle mort », moins cérémonieuse, moins religieuse, plus discrète. Quelles sont les indices de ces changements ?
- La montée de la crémation qui, maintenant, concerne, 1/3 des cérémonies funéraires en France.
- Une déconstruction du religieux traditionnel, les fameuses « funérailles d’antan » dont parlait Georges Brassens.
- La disparition des « pompes » entourant les funérailles – les tentures noires-, les cérémonies qui suspendaient, durant un temps, le temps social, les périodes de deuil.
Mais, malgré cela, il faut considérer que les Français sont soucieux de cérémonies et de rites funéraires et Que 80 % des cérémonies funéraires ont, peu ou prou, une tonalité religieuse.
- Les rites s’adaptent, se modifient, deviennent plus « personnels » Nous sommes donc face à une mutation profonde qui nous oblige à repenser « l’ardente obligation » des rites funéraires : 69 % d’entre eux les jugent « nécessaires ».
La « déconstruction de la mort à l’ancienne » semble terminée avec l’apparition de nouvelles constructions rituelles et de « bricolages » d’accompagnement. Est-ce à dire que nous en revenons à la « mort d’antan » ? Faisons-nous du neuf avec de l’ancien ? Sommes-nous en train d’inventer de nouveaux « rites » ? Lesquels ?
Patrick Baudry, Professeur de sociologie à l’université de Bordeaux, auteur de La place des morts, en jeux et rites (Armand Colin, 1999) adopte une position critique vis-à-vis de certaines pratiques nouvelles. Pour d’autres sociologues, dont Danielle Hervieu-Léger, les pratiques rituelles ne sont ni bonnes ni mauvaises. Elles sont. Patrick Baudry, lui, pense que les nouveaux « idéaux de la mort moderne » affectent les frontières entre les vivants et les morts. Dès lors, pense-t-il, si « la place des morts » est incertaine, la « place des vivants » elle aussi devient incertaine. Il faut donc penser les deux « places » l’une par rapport à l’autre
En quelques décennies, les conditions de la mort ont diamétralement changé.
1/ Autrefois l'on mourait à la maison, assisté par sa famille et le cercle étroit des proches. Désormais nous mourons plus souvent à l’hôpital.
2/ La question de la mort était avant tout spirituelle et religieuse avant de devenir surtout une question médicale. Les médecins sont désormais en première ligne. Ils veillent aux derniers instants et sont de plus en plus souvent jugés « responsables » de la mort d’un malade. La mort ne semble plus « naturelle ».
3/ Les progrès de la science repoussent les limites de la vie. La vie se prolonge au-delà des limites traditionnelles avec l’Importance des soins palliatifs. Bien des sujets qui autrefois n’existaient pas sont apparus. Jusqu’où prolonger la vie ? Comment la prolonger ? La sur-vie est-elle une nouvelle phase de la vie ou une vie dégradée ? Ces questions nouvelles sont autant médicales qu’éthiques.
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