Alors que vient d’être fêté le 150ème anniversaire du SPD, le « Parti Socialiste Allemand », et après les multiples polémiques sur l e couple Franco Allemand, la Fondation Jean Jaurès publie une intéressante note de l’historien Emmanuel Jousse. L’auteur replace cet anniversaire dans l’histoire longue de ce parti, fruit d’hésitations, de débats et d’inventions. Téléchargement Note sur les 150 ans du SPD
De par l’histoire de ce parti – il a d’abord été considéré comme un ennemi de l’Empire avant de devenir un pilier de l’Allemagne démocratique-, son 150ème anniversaire est une commémoration nationale autant que partisane.
Il n’existe donc pas à proprement parler de date de fondation pour la social-démocratie allemande, mais trois, au moins, si on limite l’analyse avant 1914. Le 23 mai 1863 est fondé l’ADAV. Le 22 mai 1875, à Gotha, les socialistes allemands divisés s’unissent en un seul parti, le Sozialistische Arbeiterpartei Deutschlands (SAPD, Parti des travailleurs socialistes d’Allemagne). Enfin, du 14 au 20 octobre 1891, au congrès d’Erfurt, le parti, après une longue décennie d’interdiction (1878-1890), se dote d’un nouveau programme. C’est là qu’est adoptée la titulature définitive de Sozialdemokratischen Partei Deutschlands, ou SPD (Parti social-démocrate d’Allemagne).
La commémoration de la fondation de l’ADAV est celle d’une rencontre entre Ferdinand Lasalle et le mouvement ouvrier, même si le SPD d’avant 1914 a été marqué par l’œuvre de Marx plus que par celle de Lassalle.
Au début des années 1860, une crise constitutionnelle en Prusse suscite l’opposition des libéraux, dont une fraction fonde le parti progressiste pour les élections de 1861. L’année suivante, un nouveau scrutin pousse les progressistes à conquérir les voix de la classe ouvrière, qui s’organise alors par des initiatives locales, sous le patronage des libéraux. Lassalle s’oppose à cette utilisation des voix ouvrières dans une conférence qu’il prononce le 12 avril 1862, intitulée Programme ouvrier. La déception de certaines organisations face à la politique libérale les conduit finalement à revendiquer une expression politique indépendante. Lasalle entrevoit la possibilité de créer un parti socialiste et ouvrier, fondé le 23 mai 1863 à Leipzig.
Du vivant de Lassalle, les pouvoirs accordés au président de l’ADAV suscitent la méfiance et dissuadent les adhésions. Dans le même temps, les organisations dominées par les progressistes fondent immédiatement une organisation concurrente, plus hétéroclite, ayant comme plus petit dénominateur commun l’hostilité au parti de Lassalle, pro-prussien, et favorable à l’intervention de l’Etat fondé sur le suffrage universel. La guerre austro-prussienne de 1866, qui exclut l’Autriche de la dynamique unitaire allemande, modifie cette opposition. Les libéraux se séparent des ouvriers qui, organisés par August Bebel et Wilhelm Liebknecht, fondent le Sozialistische Deutsch Arbeiterpartei (SDAP), dont le programme est teinté des idées de Marx. Il faudra quatre années pour que les militants du SDAP et de l’ADAV se rapprochent grâce à leur commune hostilité envers Bismarck. En 1875, au Congrès de Gotha, le SDAP et l’ADAV s’unissent et adoptent un programme de compromis, acte de naissance de la social-démocratie allemande. Celle-ci est enraciné par l’expérience commune de la répression, sous les lois anti-socialistes (1878-1890) abolies alors que le SPD adopte son nom et un nouveau programme au congrès d’Erfurt (1891).
Ni tout à fait nationale, ni tout à fait socialiste, la commémoration du 23 mai porte l’interrogation sur les fondements mêmes des partis socialistes en Europe. Par ailleurs, pour le SPD allemand, commémorer l’héritage de l’ADAV, le 23 mai 2013 ne consiste pas à un ensemble de principes clairement exposés dans une doctrine arrêtée et Lassalle n’est plus guère invoqué par les dirigeants sociaux-démocrates. Ce que la période de création de l’ADAV a transmis, c’est un ensemble de questions dont les réponses – provisoires – n’ont été trouvées qu’au prix de tâtonnements et d’adaptations.
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