Le livre de Jacques Fournier, analysé par Olaf Klargaard dans Esprit Critique (n° 104), porte sur ce que nous appelons, en France, les services publics, qui recouvrent les activités régaliennes de l’Etat (police, justice, armée), mais aussi la « satisfaction d’un certain nombre de besoins essentiels » tels que l’éducation, la santé, l’aide sociale, le logement ou encore la fourniture de services de réseaux essentiels à la communication et aux infrastructures du pays (télécommunication, poste, énergie, routes, etc.).
Face à la mise en cause croissante des services publics, Jacques Fournier pointe les dysfonctionnements – inefficacité de certaines organisations publiques, manque de réflexion sur l’évolution des besoins de la population, manque de cohérence de l’action publique – et milite pour un service public rénové et adaptable. L’auteur s’en prend ainsi à la pensée dominante – obnubilée par la réduction du champ de l’action publique – et souhaite un service public utile, qui assume son rôle et sa place dans la société.
L’auteur considère en effet que les principes et les méthodes qui règlent l’action des services publics sont plus que jamais d’actualité dans un monde devenu plus ouvert, plus marchand et plus risqué en termes de parcours individuels. Aujourd’hui peut-être plus qu’hier, l’accès à l’éducation, à la santé, à l’information dans des conditions d’égalité est essentiel. Il est des champs de la vie humaine, de la vie sociale où les règles de l’économie de marché doivent laisser place à celles de « l’économie des besoins », où les services ne doivent pas être prestés dans les seuls cas où existe une demande solvable mais dans tous les cas où ils constituent un besoin essentiel pour les populations.
Jacques Fournier refuse l’idéologie dominante qui se cache derrière les règles des traités européens et les contraintes budgétaires pour nier l’évidence : les services publics sont les mieux placés pour organiser, contrôler et fournir un certain nombre de services qui relèvent de l’intérêt général.
Pour autant, Jacques Fournier ne sousestime pas la nécessité des changements pour améliorer les conditions d’exercice des services publics. Chantre d’un service public rénové, l’auteur souhaite des missions mieux définies par le politique, mieux accomplies par les différents opérateurs et mieux régulées par les pouvoirs publics.
Une meilleure définition des besoins passe par une nouvelle gouvernance, avec un service public qui part des citoyens, de leurs besoins et d’une participation de ces derniers à la définition des missions de service public dans le cadre d’une démarche participative. Pour des missions mieux menées, Jacques Fournier appelle à une interaction entre les acteurs privés et publics afin que la prestation des besoins soit à la hauteur des exigences des citoyens.
Jacques Fournier ne souhaite pas un retour à l’Etat opérateur et régulateur des années 1960 mais exige l’évidence : au politique revient la définition des besoins essentiels de la population, au régulateur la détermination des conditions opérationnelles de cette prestation, aux opérateurs publics et privés la prestation de ces missions, sous contrôle des pouvoirs publics. Par la clarté de son propos, son caractère documenté et structuré, cet ouvrage constitue probablement l’analyse la plus complète et le plan d’action le plus pertinent pour réformer nos services publics et, point plus important, pour leur rendre leur place sur un plan idéologique.
Jacques Fournier rétablit le bon sens : l’action publique est un mode d’intervention spécifique, qui répond à des besoins liés à l’intérêt général, où les mécanismes de production de services, de rencontre de l’offre et de demande et de concurrence ne sont pas adaptés.
Le livre oscille entre deux ambitions : définir une nouvelle approche du service public et formaliser une « économie des besoins » qui questionne plus largement le capitalisme. Si le propos de Jacques Fournier est percutant, c’est par la cohérence et l’unité qu’il donne aux différentes formes de l’action publique sous la bannière et les principes de « l’économie des besoins ». Si la formalisation de Jacques Fournier est brillante, elle semble constituer davantage une justification de la social-démocratie – et c’est déjà beaucoup, en particulier dans un moment où elle est menacée – qu’une nouvelle étape de dépassement du capitalisme.
Mais cette « économie des besoins », pour pertinente qu’elle soit, ne l’est que dans le cadre de son champ restreint : les services publics. Si elle appelle à dépasser le tout-marchand, elle n’apporte des solutions cohérentes et structurées pour les seuls champs bien identifiés de la social-démocratie : activités régaliennes de l’Etat, services sociaux, santé et infrastructures. Quid de l’essentiel de l’activité économique et sociale, organisée autour de la propriété privé, de la concurrence et de la rencontre entre une offre et une demande solvable ? En quoi le concept d’« économie des besoins » peut générer une transformation des mécanismes inégalitaires de l’économie de marché ?
L’« économie des besoins » n’a de sens que pour ce champ bien déterminé et ne constitue, aux yeux mêmes de l’auteur, qu’« une des voies » d’un développement s’inscrivant dans le prolongement de la pensée socialiste. A l’inverse, c’est précisément la cohérence globale qui explique la domination du système économique capitaliste. Malgré ses défauts criants, en particulier sur le plan humain, sa force réside dans son pouvoir explicatif global et notamment dans sa compatibilité avec le libéralisme politique (liberté individuelle, propriété privée).
L’ÉCONOMIE DES BESOINS. Une nouvelle approche du service public par Jacques Fournier Editions Odile Jacob, février 2013, 286 pages, 23,90 euros)
Conseiller d’État, Jacques Fournier a présidé aux destinées de Gaz de France (1986-1988) et de la SNCF (1988-1994). Auparavant, il a exercé les fonctions de secrétaire général adjoint de l’Élysée (1981-1982), puis de secrétaire général du gouvernement (1982-1986).
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