De retour de mission en Bosnie Herzégovine, je voudrais vous en dire ici, quelques mots, nécessairement trop courts. Quel chemin parcouru depuis l'époque, ou il n'y avait sur place que désespoir, conflit ethniques meurtres, massacres. Et pourtant moins de 20 ans nous en séparent!
Est ce à dire que tout est réglé ? Sûrement pas, et si la guerre est terminée, la crise politique est bien présente: les accords passés pour clore le conflit ont mis en place des institutions qui doivent aujourd'hui évoluer pour constituer un véritable État, qui soit autre chose que la juxtaposition d'ethnies. Mais combien de siècles a-t-il fallu pour constituer la nation française à partir de nos multiples fiefs gaulois ? Tous les interlocuteurs que nous avons rencontrés tiennent des propos qui montrent une attention active à la question démocratique, sur des questions très proches des nôtres.
Les élections locales du 7 octobre 2012, dont notre mission du Conseil de l'Europe était chargée d'observer le déroulement, n'échappent pas à ce contexte. Ce contexte de crise politique fait suite d'abord a l'absence de majorité depuis les élections législatives de 2010 liée a un équilibre constitutionnel issu de l'armistice pour terminer la guerre (accord de Dayton de 1995).
Cet équilibre fait cohabiter trois entités : la partie bosniaque (Fédération de Bosnie Herzégovine), la partie Serbe (République serbe de Bosnie ), et le petit district de Brčko , coincé au nord entre les deux autres entités et la Croatie. Cet équilibre ne correspond plus à la réalité d'aujourd'hui et doit évoluer pour constituer un véritable état. Ces dispositions préservent l'unité mais provoque la paralysie. La campagne de ces élections locales porte alors nécessairement plus sur ces enjeux nationaux, et apparait comme un test dans la perspective des prochaines législatives de 2014.
Par ailleurs des symboles sont extrêmement présents comme "marqueur" de la période de guerre. À travers d'abord certains lieux symboles, ou la peur fait parfois office d'argument électoral.
Srebrenica bien sur, marqué par les massacres que l'on connaît, a connu beaucoup de mouvements de population; les retours d'habitants qui n'habitent plus ou pas encore la ville, mais qui sont inscrits sur la liste électorale, provoque inévitablement des interrogations sur la validité de certains votes, et surtout sont instrumentalisés par certains partis pour créer de la peur. Mais pour la première fois, un leader Serbe, contre l'avis de son parti a admis l'existence du génocide !
Sarajevo, qui est la capitale du pays mais en fait chaque partie de la ville (partie bosniaque, et partie Serbe) est la capitale des deux composantes principales du pays: la coopération des deux parties progresse, mais la question d'un statut de la capitale avec sa véritable autonomie, se pose.
Mostar qui n'a pas pu participer à ces élections en l'absence de statut constitutionnel, lié à un désaccord persistant entre Croates et Bosniaques sur celui-ci.
Brcko qui constitue la troisième composante de la fédération à la jonction de la Bosnie et Serbie est une entité particulière et est la seule à jouir d'un véritable statut d'autonomie.
Les journalistes dénoncent encore certaines déclarations de haine, niant l'Etat ou le génocide mais elles ne semblent pas très nombreuses. Les médias sont contrôlés sur ce point et vigilants. Ces Élections locales dans 143 collectivités locales, au sein de 5000 bureaux, dépendent comme dans toute démocratie de modalités de vote, d'un fichier électoral, des conditions de campagne: médias, financement, affichage ...., de modalités de dépouillement....
La Question du fichier est évidemment essentielle pour un pays comme pour la Bosnie Herzégovine aujourd’hui, suite aux déplacements de population, et aux enjeux ethniques. Une commission centrale constitutionnelle gère ce fichier, à partir du fichier national d'appartenance à la Bosnie Herzégovine, en s'appuyant sur des commissions locales composées de personnes proposées par les partis. Le vote par correspondance, ou de l'étranger est centralisé, et validé par la commission centrale pour être affecté à tel ou tel bureau.
On y retrouve des questions que l'on connaît : parité, vote électronique, équilibre des débats dans les médias ....mais on évoque aussi la faiblesse de la participation, la multiplicité des élections, le mille feuilles institutionnel.... avec une certaine similitude avec nos débats français.
Le contexte électoral du pays est en outre caractérisée par :
- une multiplicité des partis (plus de 200) constitués sur des bases régionales, ethniques : les partis font plus souvent des listes ethniques que des listes citoyennes et étouffent l'éclosion d'une société civile active
- une division ethnique institutionnalisée à tous les niveaux, de par la constitution (répartition équilibrée dés emplois publics, des responsabilités...) et qui d'une certaine façon, l'entretient, même si le dernier recensement date de 1991, et qu'une nouvelle loi en prévoit un enfin en 2013!
- une mobilité forcée liée a la guerre, qui génère des flux de population entre localités d'où des difficultés pour intégrer les résidents et ceux qui reviennent
- une corruption réelle ou trop de choses s'achètent : un emploi, un rendez-vous médical...
Tous ces éléments, j'ai pu les apprécier par les nombreuses rencontres auprès des institutionnels, ambassadeurs, Président de la commission nationale des élections, Journalistes, Mais j'ai pu le mesurer aussi lors de ma tournée sur le terrain, avec une interprète et un chauffeur charmant, dans les bureaux de vote dans le secteur de Brčko, Tuzla, et Bijeljina. On a le sentiment que les choses avancent mais rien n'est jamais acquit, surtout que les institutions actuelles sont encore celles mises en place pour finir la guerre plus que pour gérer un État.
Une telle mission montre bien que l'idée européenne reste une grande idée pour ceux qui veulent la paix, relativise beaucoup de nos problèmes Franco-français, et permet d'apprendre beaucoup à la lumière de nos différences!
Libération il y a 20 ans, Sarajevo: photos
Communiqué du Conseil de l'Europe préalable à la mission
Communiqué du Conseil de l'Europe de fin de mission
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