L’ouvrage de Paul Willis, paru il y a trente ans et récemment traduit, analyse à partir d’un travail ethnographique minutieux la résistance des enfants d’ouvriers à la scolarisation, contribuant ainsi à la reproduction des inégalités sociales.
L’enquête n’a rien perdu de son actualité. L’École des ouvriers, qui vient de paraître aux éditions Agone (collection « L’ordre des choses ») est la traduction d’un classique de la sociologie de l’éducation, le livre de Paul Willis, Learning to Labour, paru en 1977 et jamais traduit en français jusqu’à présent. Il est augmenté d’un entretien avec l’auteur, datant de mars 2011, qui permet de situer le travail de celui-ci dans le cadre des cultural studies et des analyses marxistes.
Cette parution, dont rend compte la note de Daniel Thin pour la Vie des idées, vient combler un manque, car si le travail de Willis était souvent donné en référence lors de l’analyse des pratiques d’élèves de classes populaires rétifs à l’ordre et aux logiques scolaires, il était connu jusque-là en France par un seul article [Actes de la recherche en sciences sociales, n° 24, nov. 1978, p. 50-61].
Heureuse initiative donc que cette traduction qui intervient au moment où la question des inégalités sociales, longtemps occultée par une représentation duale de la société (opposant inclus et exclus) revient sur le devant de la scène publique, jusque dans le domaine de la scolarisation.
Les inégalités sociales de scolarisation étaient au cœur des débats et des analyses dans les années 1970, lorsque l’élargissement de la scolarisation dans le secondaire (trop précipitamment qualifié de démocratisation scolaire, disait Bourdieu) révélait que l’égalité formelle affichée par une école plus ouverte aux enfants des différentes classes sociales ne produisait pas l’égalisation sociale attendue des réformes scolaires.
Willis déplace le regard et l’angle d’analyse du système scolaire et de son fonctionnement vers la boîte noire de l’école qu’il aborde par les pratiques et la culture des élèves de familles ouvrières. La question que pose Willis est la suivante : comment les enfants d’ouvriers scolarisés dans une école qui leur ouvre plus largement l’accès au secondaire en viennent à obtenir et, davantage, à accepter des emplois d’ouvriers non qualifiés en usine ?
Pour Willis, répondre à cette question suppose une approche « par le bas », à partir des pratiques et des discours des élèves, et implique de prendre au sérieux les discours des membres des familles ouvrières, de chercher les logiques au fondement de leurs pratiques et de leurs discours, là où, souvent, les institutions et leurs agents ne voient qu’incohérences et carences. Cette posture le conduit à une observation intensive dans un établissement secondaire d’une ville ouvrière de l’Angleterre et à suivre un groupe de fils d’ouvriers de leur avant-dernière année de scolarité jusqu’aux premiers mois de leur travail à l’usine.
Toute la richesse de l’approche ethnographique est restituée dans la première partie du livre qui montre la manière dont les « gars », ainsi qu’ils se nomment (the lads), s’opposent aux enseignants, contournent les règles de l’école, contestent ses principes, affrontent les élèves conformistes (les « fayots »), revendiquent un droit à « rigoler » contre l’ennui de l’école, etc. L’école des ouvriers articule le rapport des membres des familles populaires à la scolarisation avec les autres dimensions de leur existence, en particulier les dimensions liées au travail, et situe la scolarisation des enfants des classes populaires dans les rapports de domination qui traversent l’espace social.
Il y a certainement tout un travail à entrerendre dans la foulée du
questionnement de Bourdieu "sur la démocratisation scolaire" et suite à l'approche Willis sur le comportement des "gars"... les fils d'ouvriers... La Gauche et l'EN, dans toutes ses composantes, sont-elles persuadées que l'accès à la connaissance et à l'autonomie pour la jeunesse peut se faire par des voies différentes. Où en est le droit de tirage sur l'accès à la formation évoqué par ROcard voilà 20-25 ans ? Comment s'y prendre avec les 150 000 jeunes qui dérivent chaque année ? Beaucoup de travail désintéressé à faire après le 6 mai pour reprendre la main dans de domaine qui conduit aux frustrations constatées et enregistrées par les votes extrêmes... Michat
Rédigé par : CHATAIGNER | 02 mai 2012 à 11:07