Alors que la loi Leonetti de 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie est remise en cause depuis les évènements de Bayonne, La Vie des Idées, dans un dossier réalisé par Ivan Jablonka, a souhaité contribuer à clarifier un débat à la fois éthique, médical et philosophique qui engage la liberté et la dignité humaines. Au-delà de la souffrance des patients et des proches, c’est à la société tout entière d’engager le «travail du trépas », selon l’expression du psychanalyste Michel de M’Uzan.
En Europe, 40 à 50 % des décès résultent d’une décision médicale. Ce qu’on appelle l’euthanasie (la « bonne mort », en grec) et qui concerne, dans la conscience collective, les patients incurables désireux d’être assistés dans un suicide, cache en fait une pluralité de gestes, de décisions, de réflexions irréductibles à ces cas particuliers.
À l’opposé, les soins palliatifs visent à accompagner sereinement un patient jusqu’à ses derniers instants. Le fait d’autoriser des médecins à donner la mort, fût-ce dans l’intention de soulager des souffrances insupportables, suscite la réticence, voire le scandale. Plus largement, le débat sur l’euthanasie embrasse la manière dont, aujourd’hui, on finit et veut finir sa vie.
Si on doit l’une des premières réflexions au philosophe Francis Bacon, au début du XVIIe siècle, les récents progrès de la médecine ont rendu ce questionnement plus aigu, la prolongation de la vie n’assurant pas nécessairement les conditions d’une existence autonome. Doit-on reconnaître aux hommes un droit de mourir, dans un sursaut d’ultime liberté, ou doit-on se borner – la tâche est déjà énorme – à soigner, aider, accompagner, entourer les personnes les plus vulnérables, celles qui bientôt ne seront plus ? .
Au sommaire :
• La mort, le patient et le chercheur par Marie Gaille .
La demande de laisser mourir ou d’assistance en vue de mourir n’apparaît pas toujours comme un objet de réflexion légitime : elle suscite un malaise à la fois moral, politique et juridique. Pourtant, elle révèle un immense champ d’investigation et de réflexion – qui reste encore à défricher.
• Force de la vulnérabilité par Marie Gaille
La réflexion bioéthique est aujourd’hui foisonnante. Corine Pelluchon entend la recentrer sur la question politique, en exhibant ce qui fonde la subjectivité : la vulnérabilité, ou l’autonomie brisée. Doit-on cependant dévaloriser l’affirmation d’une autonomie pleine et entière du sujet moral ?
• La prise en charge des malades en fin de vie par Ruth Horn : Une comparaison entre l’Allemagne et la France.
En Allemagne et en France, l’euthanasie est interdite. L’étude du contexte historique, politique, légal et médical des deux pays permet de mettre en relief les différentes façons d’aborder les problèmes liés aux demandes de mourir. La place que prend en Allemagne le respect de la volonté de l’individu souligne une différence fondamentale avec le droit français, dans lequel la volonté de tous, représentée par l’État, prévaut sur la volonté du patient.
• Peut-on distinguer euthanasie active et euthanasie passive ? par Marta Spranzi
L’euthanasie active, interdite en France, consiste à donner intentionnellement la mort à un patient qui souffre dans un état désespéré. Pourtant, la loi autorise déjà les médecins à laisser mourir. En fait, il existe une continuité entre les différents gestes de fin de vie : on peut « tuer » de bien d’autres manières que par injection létale.
• Prendre soin des malades en fin de vie, une approche éthique de la fragilité par Emmanuel Hirsch.
Si près de 80 % des personnes meurent aujourd’hui dans le cadre d’une institution de soin plutôt qu’à leur domicile, c’est parce que la médicalisation de la vie jusqu’à son terme refuse à la communauté humaine les temps hautement symboliques qui la relient à son histoire et aux valeurs qui en sont constitutives. Quand l’« idéologie biomédicale » s’oppose à la dignité des malades, elle devient un déni d’humanité.
• Au secours des mourants, médicalisation et humanisation dans la gestion sociale de la mort par Gérard Rimbert
À propos de : M. Castra, Bien mourir. Sociologie des soins palliatifs, PUF, et A. Paillet, Sauver la vie, donner la mort, La Dispute.
L’étude des soins palliatifs proposée par Michel Castra et l’analyse de la réanimation néonatale conduite par Anne Paillet mettent l’accent sur la tension entre médicalisation et humanisation des soins et soulignent la contradiction entre sauvetage de la vie biologique et défense de la « dignité humaine ».
• Éthique de la fin de vie par Marta Spranzi
À propos de : A. Paillet, Sauver la vie et donner la mort, La Dispute, et N. Kentish-Barnes, Mourir à l’hôpital, Seuil.
Faire vivre ou laisser mourir ? Deux enquêtes récentes se penchent sur les dilemmes moraux et médicaux qui se posent dans les services de réanimation néonatale et adulte. Entre secret et prise en compte des vœux des familles, les décisions de fin de vie révèlent des divergences d’approches au sein des équipes soignantes.
• La mort au jour le jour par Frédérique Giraud
À propos de : V. Guienne, Sauver, laisser mourir, faire mourir, Presses Universitaires de Rennes.
La sociologue Véronique Guienne plonge au cœur de l’expérience hospitalière pour en tirer une réflexion sur les dilemmes moraux des professionnels de santé dans leur confrontation quotidienne à la mort. Elle réussit le pari de construire la mort à l’hôpital comme un objet social.
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