Les agences de notation sont dans le collimateur des gouvernements. Cette note de Terra Nova détaille les accusations contre les agences ainsi que leur argumentaire en défense. Elle décrypte également les principales propositions de réforme : mise en place d'un régulateur fort en charge du service public de la notation financière, création d'une agence de notation publique européenne, modification du système de rémunération des agences de notation actuelles, renforcement des obligations de transparence et d'éthique professionnelle...
Sévérité et brutalité injustifiées des abaissements de notes, prophéties autoréalistrices entraînant des paniques de marché, soupçons d’incompétence et de collusion avec les spéculateurs… Les relations des Etats avec les agences de notation, déjà tendues avec la crise financière, ont atteint le point de rupture avec la crise de la dette souveraine. Les reproches contre les agences de notation sont nombreux :
- Une situation malsaine d’oligopole.Il n’y a que trois agences internationales pour se partager le marché de la notation (même s’il existe plusieurs centaines d’agences locales ou régionales) : Moody’s, Standard and Poor’s, Fitch.
- Un secteur largement dérégulé. Pour faire bref, les agences de notation peuvent faire à peu près ce qu’elles veulent, tant dans leur méthodologie, leur mode de financement ou leur niveau de transparence. La crise financière a toutefois permis une première évolution : le passage d’une logique d’autorégulation par les acteurs vers une forme minimale de réglementation (Dodd Franck Act aux Etats-Unis, régulation européenne des agences de notation).
- Un problème de business model : des conflits d’intérêts structurels, la tentation permanente du « délit d’initiés ». Les agences de notation sont payées par l’émetteur du titre qu’elles notent. Le conflit d’intérêts est structurel. Pire, les agences détiennent une information
– l’évolution d’une note – qui aura un impact crucial et connu sur les cotations de marché et tous leurs clients sont par ailleurs des acteurs de marché. Comment ne pas soupçonner, par exemple, que la dégradation brutale de la note portugaise par Moody’s, qui n’est justifiée par aucun élément factuel nouveau, n’obéisse pas à d’autres logiques…
- Un biais autoréalisateur et procyclique : les « pompiers pyromanes ». Hors environnement de crise, les investisseurs pondèrent les avis des différentes sources d’information. En période de crise, à l’inverse, chaque information négative tend à renforcer la crainte des investisseurs et chaque dégradation de notation a donc un impact fort. Cet effet « pompier pyromane » est par ailleurs directement lié aux méthodologies utilisées pour la notation, et en particulier à la très forte pondération de la « flexibilité financière », c’est-à-dire la capacité à se refinancer, dans la notation des souverains. Il y a là un mécanisme de cercle vicieux purement autoréalisateur : les conditions de financement sur les marchés se durcissent, entraînant la dégradation des notes des agences de notation, qui provoquent elles-mêmes un durcissement des conditions de financement… Enfin, l’effet « pompier pyromane » peut être renforcé par les pressions politiques. Il est difficile pour les agences de notation de dégrader des Etats souverains, même quand elles l’estiment justifié, car elles savent que cela aura de fortes répercussions sur les économies. Les agences ont donc souvent la tentation de décider d’une dégradation une fois que le marché est déjà à la baisse, renforçant ainsi la spirale à la baisse.
Les agences de notation ont toutefois quelques contre-arguments légitimes à faire valoir. Les
agences ont beau jeu de dire que leurs notes ne sont que le thermomètre d’une situation critique. Casser le thermomètre ne fera pas partir la fièvre. Certes. Mais ce n’est pas ce qu’on leur reproche : le thermomètre est accusé de faire augmenter la fièvre, voire de tuer le malade. A leur décharge, les agences ont raison de souligner que le problème est moins dans leurs notes que dans l’utilisation qui est faite de leurs notes.
- Une utilisation laxiste. Les analystes des grandes institutions financières ont trop facilement délégué leur responsabilité aux agences.
- Une utilisation fautive. Les agences évaluent la solvabilité à long terme d’un emprunteur (remboursera-t-il sa dette aux échéances ?). Or leurs notes sont utilisées pour juger de la liquidité à court terme du titre sur le marché.
- Une utilisation, surtout, défaillante car systématique. Il y a quinze ans, les notations faisaient partie d’un panel d’indicateurs et de travaux d’analyse, internes et externes, utilisé par les investisseurs financiers pour faire leurs choix. Or les ratings des agences sont devenus ultra-dominants, pour ne pas dire exclusifs, dans les choix d’investissement. Pire, ce rôle est devenu automatique : ils ont été intégrés dans les programmes informatiques des investisseurs pour la composition de leur portefeuille. Pour un portefeuille d’investissements sans risque, par exemple, la dégradation de la notation d’un titre entraîne non seulement la cessation de tout achat mais aussi la revente immédiate de l’intégralité des titres en portefeuille, alimentant ainsi la spirale à la baisse. Même la Banque centrale européenne utilisait initialement un seuil de notation pour accepter de prendre en pension (repo) des titres. Cela avait entraîné une défiance des marchés sur la dette grecque : les opérateurs, anticipant la chute de la notation en-dessous du seuil, se débarrassaient des titres de dette grecs auprès de la BCE, de peur de ne plus pouvoir le faire. Pire encore, la prise en compte des ratings a été rendue juridiquement obligatoire : les notations des agences ont été intégrées dans les exigences de fonds propres de la régulation « Bâle 2 ».
Des réformes profondes et urgentes sont nécessaires......
- Il faut un régulateur fort. La réforme est en cours, avec l’obligation pour les agences de s’enregistrer auprès du CESR, le Comité européen des régulateurs. On peut aller plus loin et transformer le secteur en service public (il est au cœur du financement de l’économie), en en confiant la responsabilité d’organisation au CESR. Les agences seraient alors des délégataires de service public, soumises aux régulations du CESR.
- L’idée de créer une agence de notation publique, adossée au FMI ou à la BCE, en complément des agences privées, est séduisante. Cette proposition, en débat depuis plusieurs mois au niveau de la Commission européenne, permettrait de créer les conditions d’une plus grande concurrence, de lutter contre le problème de business model – le financement proposé pourrait reposer sur une cotisation obligatoire de la part de toutes les entreprises européennes cotées ou émettant des obligations –, tout en permettant de contrôler les baisses de rating et d’émettre sur le marché un avis alternatif à celui des agences « traditionnelles ».
- Organiser davantage de concurrence parmi les agences serait bienvenu. C’est le sens des propositions faites récemment par le Commissaire français Michel Barnier. Elles laissent toutefois sceptiques, tant il serait en pratique difficile pour un nouvel acteur privé de casser l’oligopole et se créer une réputation ex nihilo sur le marché.
- La modification du système de rémunération des agences de notation est une piste essentielle. Les agences sont aujourd’hui payées par les émetteurs et les entreprises qu’elles notent. Une manière de lever ce soupçon serait d’établir en Europe un financement de ces agences par une taxe sur l’ensemble de l’économie et/ou du secteur financier, indépendamment de leurs courses aux mandats.
- Les obligations de transparence et d’éthique professionnelles doivent être renforcées. La Commission européenne mettra sur la table cet automne de nouvelles règles pour imposer aux agences plus de transparence sur leur méthodologie. En cas de non-respect des règles, elles doivent pouvoir être sanctionnées financièrement et/ou se voir interdire l'exercice de leur profession pendant un certain temps.
- Autre piste : créer une responsabilité civile des agences en cas de fautes manifestes d’appréciation entraînant des conséquences néfastes et majeures sur les économies et les entreprises. Cette piste, inspirée du « statut d’expert » de la loi américaine Dodd Franck, fait également partie des propositions de la Commission européenne pour l’automne.
- Dernière proposition : prévoir la possibilité de suspendre la notation d'un pays qui fait l'objet d'un plan de soutien. Cette piste fait également partie des propositions de la Commission européenne que Bruxelles discute en ce moment avec le Fonds Monétaire International.
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