Depuis trop longtemps, le Sénat affiche l’image d’une institution poussiéreuse, incapable de se réformer et d’accueillir une alternance démocratique. Jean-Pierre Bel Président du groupe Socialiste au Sénat, affirme, dans un document de la fondation Jean Jaures, l’urgence de transformer le Sénat en un organe réellement représentatif des équilibres politiques locaux, pour qu’il regagne enfin sa pleine légitimité démocratique.
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Il paraît difficile de contester que le Sénat souffre depuis de nombreuses années d’un profond déficit d’image. Il serait une institution archaïque qui ne parviendrait pas à représenter démocratiquement la population française. Pire, il n’est pas rare que son utilité même dans le processus législatif soit contestée et qu’il apparaisse comme une scorie indésirable des régimes passés, comme un bastion des éléments les plus conservateurs de la Nation destiné à empêcher l’expression débridée du suffrage universel direct.
Pourtant, le Sénat dispose de traits dynamiques pour préparer l’avenir. Proche des représentants locaux, la moitié de ses membres sont élus à la proportionnelle, ce qui en fait une chambre plus favorable à la représentation de toutes les nuances de l’échiquier politique, mais aussi des femmes. Par leur connaissance des territoires et leur intimité avec les élus des collectivités, les sénateurs sont des législateurs au plus près des réalités locales. La longueur de leur mandat les conduit en outre à inscrire leur réflexion politique et législative dans la durée, leur permettant en un sens d’échapper à la dictature de l’urgence.
Dès lors, comment expliquer cette langueur indicible qui hante le Palais du Luxembourg ? Et comment dépasser l’image d’une chambre rétive à toute modernisation ? Il paraît évident que le Sénat doit s’inscrire dans un mouvement de modernisation des institutions plus large, mais il ne pourra le faire qu’à condition d’interroger les conditions même de sa représentation démocratique.
L’écart aujourd’hui observable entre les responsabilités assumées par la gauche dans les collectivités territoriales et sa représentation au Sénat témoigne à lui seul d’un défaut consubstantiel au mode d’élection des sénateurs. L’insuffisante prise en compte des évolutions de la France contemporaine dans le collège électoral des sénateurs induit une surreprésentation des communes par rapport aux autres niveaux de collectivités locales – départements et régions. Les représentants des communes forment à eux seuls 96 % du collège électoral du Sénat, créant ainsi un biais pour les populations rurales qui habitent les nombreuses petites communes au détriment de la représentation des habitants des grandes villes, qui forment pourtant la majorité de la population.
Ainsi, bien qu’une large majorité de Français appartienne à une collectivité locale gérée par la gauche et malgré les tentatives de réforme (notamment celle proposée par les socialistes en 2008), l’alternance est demeurée jusqu’à présent impossible.
Alors que les Français se tournent de plus en plus vers l’appartenance territoriale pour y retrouver le sens du vivre ensemble, l’alternance doit être l’occasion pour le Sénat de s’affirmer comme la chambre des territoires et de la défense des services publics locaux, de s’assumer comme l’étendard d’une diversité et d’une richesse française qu’il faut encourager.
L’alternance au Sénat devra permettre de réparer la fracture introduite entre cette institution et les élus locaux, qui n’ont accepté ni la suppression de la taxe professionnelle, ni la substitution de conseillers territoriaux aux conseillers généraux et régionaux, ni la remise en cause des services publics provoquée par le gel des dotations de l’Etat.
L’alternance devra aussi être l’occasion d’une réflexion audacieuse sur la réforme territoriale, reposant sur une méthode de concertation, sur la responsabilisation et l’accompagnement des élus locaux plutôt que sur leur stigmatisation, sur la création d’un bouclier rural préservant les services publics de proximité.
L’alternance, si elle permettait de réconcilier le Sénat réel avec le « Sénat virtuel » (celui qui résulterait d’une réforme démocratique du mode de scrutin des sénateurs), n’est toutefois pas une fin en soi. Loin d’être un antidote modernisateur, elle devra être suivie d’une véritable réflexion sur le rôle et le fonctionnement du Sénat au sein du processus démocratique. Mais s’il ne faut pas voir en l’alternance une solution miracle aux travers de la chambre haute, elle pourrait certainement constituer une avancée décisive dans la conquête d’un bicamérisme rénové.
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