En 1898, déjà, Jaurès prenait parti contre les délocalisations effectuées par les grands patrons de son temps (raffineurs de Paris, tisseurs de Roubaix, industriels lyonnais et bien d’autres) au détriment de l’emploi en France. Il ne leur déniait pas le droit de s’implanter à l’étranger mais estimait qu’il fallait à « ce mouvement exorbitant des capitaux » ce qu’il appelait « de la mesure et un contrepoids ».
Ségolène Royal nous livre ci-dessous un extrait d’un petit livre malicieusement intitulé «Moi, Jaurès, candidat en 2012… ». Cet ouvrage que viennent de publier les éditions Matignon (aucun rapport avec l’hôtel du Premier Ministre !) est le fruit du travail de Jean-Pierre Fourré, qui fut élu local et national puis journaliste ; il est aujourd’hui éditeur et homme de théâtre : il interprète depuis un an le rôle de Jaurès dans une pièce de la Compagnie Mots en scène.
Cet ouvrage rassemble différents textes de notre grand ancien, classés par thèmes : la peine de mort, Dieu, la laïcité, la démocratie, les impôts, l’enseignement, les droits des femmes, les droits sociaux, l’organisation économique, la défense nationale, l’Europe, les langues régionales, la patrie et l’internationalisme, etc. Il atteste la modernité visionnaire de celui qui réconcilia le socialisme avec la République et voulait que la Révolution française poursuive son œuvre jusque « dans l’atelier », façon de dire que les droits politiques appelaient les droits économiques et sociaux.
Voici ce qu’il y a plus d’un siècle, Jaurès disait, dans un article pour La Revue de Paris, de « cette sorte de détournement et de dispersion de l’énergie nationale» qu’on n’appelait pas encore délocalisations. « L’Etat, en fixant au sol de la France une partie au moins du capital créé par la France, ferait une grande œuvre nationale. De plus en plus, selon la loi d’essaimage du capital, les grands industriels français fondent à l’étranger des établissements rivaux des nôtres (…). Il y a là une expropriation évidente de la main d’œuvre française, et si, au moment où nos capitaux vont stimuler au loin, contre nous, la concurrence universelle, nous n’accroissions pas aussi notre force interne de production, il y aurait rupture d’équilibre: notre pays serait, si l’on me passe la comparaison, comme un homme qui se penche trop au dehors et qui risque de tomber par la fenêtre. Plus le capital français est sollicité hors de nos frontières par une loi d’expansion et de profit, plus il importe d’assurer et d’accroître les énergies fondamentales, les richesses solides et indéracinables, celles du sol ».
C’est un appel net au rôle de l’Etat dans la mise en œuvre de politiques industrielles créatrices de richesses et porteuses d’emplois sur notre sol.
Quatre ans auparavant, dans une intervention à la Chambre des députés du 17 février 1894, il déclarait ceci qui permet de bien comprendre de quel point de vue il énonce sa critique d’un capital indifférent à l’intérêt national : « Ce n’est pas nous qui voulons éveiller, entre les travailleurs manuels des différents pays, les animosités d’un chauvinisme jaloux ; non, mais ce que nous ne voulons pas, c’est que le capital international aille chercher la main d’œuvre sur les marchés où elle le plus avilie, humiliée, dépréciée, pour la jeter sans contrôle et sans réglementation sur le marché français et pour amener partout dans le monde les salaires au niveau des pays où ils sont le plus bas».
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