Je soumets à votre lecture ce très beau texte de Michel Serres, de l’Académie française. Ce philosophe nous donne un sacré éclairage sur les transformations dans l’enseignement, dans l’éducation Avant d’enseigner quoi que ce soit à qui que ce soit, au moins faut-il le connaître.
Qui se présente, aujourd’hui, à l’école, au collège, au lycée, à l’université ? Ce nouvel écolier, cette jeune étudiante n’a jamais vu veau, vache, cochon ni couvée. Il habite la ville. Son espérance de vie est, au moins, de quatre-vingts ans. Depuis soixante ans, intervalle unique dans notre histoire, il et elle n’ont jamais connu de guerre, ni bientôt leurs dirigeants ni leurs enseignants. Alors que leurs parents furent conçus à l’aveuglette, leur naissance fut programmée. Alors que leurs prédécesseurs se réunirent dans des classes ou des amphis homogènes culturellement, ils étudient au sein d’un collectif où se côtoient désormais plusieurs religions, langues, provenances et mœurs
Voilà pour le corps ; voici pour la connaissance. Leurs ancêtres cultivés avaient, derrière eux, un horizon temporel de quelques milliers d’années. Ils sont formatés par les médias, par la publicité. Ils habitent donc le virtuel. Il ou elle écrit autrement. Ils ne parlent plus la même langue.
Trois questions, par exemple : Que transmettre ? À qui le transmettre ? Comment le transmettre ? Face à ces mutations, sans doute convient-il d’inventer d’inimaginables nouveautés, hors les cadres désuets qui formatent encore nos conduites et nos projets. Nos institutions luisent d’un éclat qui ressemble, aujourd’hui, à celui des constellations dont l’astrophysique nous apprit jadis qu’elles étaient mortes déjà depuis longtemps.
Pourquoi ces nouveautés ne sont-elles point advenues ? J’en accuse les philosophes, dont je suis, gens qui ont pour métier d’anticiper le savoir et les pratiques à venir, et qui ont, comme moi, ce me semble, failli à leur tâche. Engagés dans la politique au jour le jour, ils ne virent pas venir le contemporain. Si j’avais eu, en effet, à croquer le portrait des adultes, dont je suis, il eût été moins flatteur. Je voudrais avoir dix-huit ans, l’âge de Petite Poucette et de Petit Poucet, puisque tout est à refaire, non, puisque tout est à faire. Je souhaite que la vie me laisse assez de temps pour y travailler encore, en compagnie de ces Petits, auxquels j’ai voué ma vie, parce que je les ai toujours respectueusement aimés
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