Créé en janvier 2009, le régime de l'auto entrepreneur, a connu un réel succès. Mais il suscite de plus en plus de réserves. Grâce à la simplicité des démarches à accomplir et aux avantages fiscaux et sociaux dont il bénéficie, ce nouveau statut a attiré de très nombreux candidats.
Mais la majorité des auto-entrepreneurs ne réalisent aucun chiffre d'affaires et la plupart des autres ont des revenus faibles. En outre, certains employeurs en profitent pour contourner le droit du travail.
De plus, ce succès aggrave encore une des faiblesses traditionnelles de l'économie française: la trop petite taille de ses PME.
Contre toute attente, l'année 2009 a enregistré un record de créations d'entreprises: 580 200, soit 75% de plus qu'en 2008. Cette performance est largement imputable au nouveau régime de l'auto-entrepreneur, mis en place le 1er janvier 2009: 320 000 créateurs sont en effet déclarés à ce titre, c'est-à-dire plus de la moitié des effectifs recensés par l'Insee en 2009.
Dans son numéro de mai, Alternatives Economiques relativise cet engouement
La simplicité administrative et la souplesse offertes par le régime d'auto-entrepreneur sont des ingrédients importants de ce succès. Un demandeur d'emploi qui opte pour ce régime continuera à toucher ses indemnités, elles seront simplement réduites s'il parvient à réaliser des recettes.
Mais surtout, ce régime offre d'importants allégements fiscaux: l'auto-entrepreneur paie moins de cotisations sociales et moins d'impôts, et il ne s'acquitte de ses charges qu'à partir du moment où des clients ont honoré leur facture. Pas sûr, pour autant, qu'il faille y voir "l'émergence d'une culture entrepreneuriale et populaire en France", comme le prétend la ministre de l'Economie.
Ce nouveau statut s'apparente beaucoup à un palliatif en temps de crise: faute de mieux, de nombreux chômeurs ou allocataires de minima sociaux ont décidé de se créer leur propre "petit boulot", le temps que le contexte économique s'améliore. Ils représentaient en effet 42% des auto-entrepreneurs en février dernier, selon un sondage réalisé pour l'Observatoire de l'auto-entrepreneur
Ce boom, s'il n'est pas contestable, doit aussi être relativisé. Le nombre total d'auto-entrepreneurs mêle en effet toutes les entreprises créées sous ce régime, sans distinguer celles qui ont réellement démarré une activité de celles qui sont restées au point mort. Même les entreprises à qui ce régime à été refusé après la déclaration de création sont comptabilisées par l'Insee!
Le concept de "création d'entreprise", harmonisé au niveau européen, suppose pourtant une "mise en oeuvre effective de nouveaux moyens de production". Seuls les auto-entrepreneurs qui répondent à ce critère devraient donc être décomptés. Ce n'est pas le cas. Or, au 31 janvier 2010, 80 000 auto-entrepreneurs seulement ont déclaré un chiffre d'affaires, alors qu'ils étaient à ce moment-là 217 000 à pouvoir potentiellement le faire, selon l'Urssaf .
De plus, l'activité de ceux qui ont réussi à vendre des produits ou à facturer des services reste limitée: le revenu mensuel net des auto-entrepreneurs s'élevait en moyenne à 775 euros en octobre dernier, selon une première vague du sondage de l'Observatoire de l'auto-entrepreneur. L'auto-entrepreneur, c'était "la liberté de travailler plus pour gagner plus", selon François Hurel, auteur du rapport qui l'a inspiré. Une vision quelque peu idyllique.
Ce statut pose plus de problèmes qu'il n'en résout. Dans le secteur du bâtiment par exemple, les auto-entrepreneurs sont nombreux et leur revenu mensuel net moyen atteint même 1 251 euros. Mais il semblerait que certaines entreprises en profitent pour inciter leurs salariés à se mettre à leur compte afin de les faire travailler comme sous-traitants. A l'image de ce qui se passait déjà dans le transport routier, l'employeur se dédouane ainsi de toutes ses obligations en matière de temps de travail, de repos, de congés, de salaire minimum ou de licenciement. Le salarié, lui, a un statut plus précaire, dispose d'une couverture maladie plus faible, de droits à la retraite réduits et perd le bénéfice de l'assurance chômage.
Par ailleurs, les artisans dénoncent la concurrence déloyale induite par ce statut qui bénéficie d'un régime fiscal et social très avantageux. Pour calmer cette fronde, le gouvernement a obligé les artisans auto-entrepreneurs (soit un tiers des effectifs) à justifier de leur qualification et à s'inscrire au répertoire des métiers .
Enfin, du fait des avantages sociaux et fiscaux importants, l'auto-entrepreneuriat concourt aussi à creuser les déficits publics: la commission des comptes de la Sécurité sociale table sur un coût de 92 millions d'euros en 2009 et de 191 millions pour 2010.
Autre critique, plus inattendue: ce régime inciterait au développement du travail au noir. Un de ses rares avantages est pourtant a priori de donner aux travailleurs au noir à la fois un statut juridique et un minimum de protection sociale. Mais les auto-entrepreneurs sont aussi tentés de dissimuler une part de leur activité pour ne pas dépasser le plafond de chiffre d'affaires au-delà duquel ils perdraient le bénéfice du statut.
En multipliant le nombre d'entreprises nouvelles, le statut d'auto-entrepreneur peut donner le sentiment de rendre l'économie française plus dynamique et plus compétitive. Mais ce n'est qu'une illusion. En effet, la France compte déjà trop de très petites entreprises. La part des entreprises sans salarié était déjà passée de 49% du total des entreprises en 1996 à 60% en 2008. Avec les auto-entrepreneurs, ce pourcentage devrait encore s'accroître. La très faible taille de ces entreprises les empêche d'innover, faute de capitaux, mais aussi de disponibilité des dirigeants. Cette taille trop réduite explique par ailleurs les mauvaises performances des PME françaises à l'exportation.
Enfin, ces petites entités sont extrêmement fragiles financièrement. Selon l'Insee, un tiers des entreprises créées en 2002 avaient disparu trois ans après. Le statut d'auto-entrepreneur ne fait donc qu'accentuer cette faiblesse structurelle.
Au final, la multiplication de ces micro-entreprises est surtout le reflet du contexte économique très morose. Quand le marché du travail n'offre plus d'opportunités, les chômeurs n'ont plus guère d'autre choix que de tenter de se mettre à leur compte. Quitte à risquer leur patrimoine personnel dans l'aventure.
Cerise sur le gâteau: ce statut permet aussi de réduire significativement le nombre des demandeurs d'emploi puisque ceux qui le choisissent sont considérés comme chômeurs avec activité réduite; ils quittent donc la catégorie A dans les listes de Pôle emploi, le chiffre le plus commenté par le gouvernement et les médias.
"La création d'entreprise en 2009 dopée par les auto-entrepreneurs", Insee Première n° 1277, janvier 2010.
"2e vague de l'Observatoire de l'auto-entrepreneur", Opinion Way, février 2010
Le site de l'Union des auto-entrepreneurs, sorte de syndicat patronal autoproclamé
Bonjour,
"Autre critique, plus inattendue: ce régime inciterait au développement du travail au noir."
C'est faux. Au contraire. Même s'il est vrai que certains camouflent une partie de leur chiffre d'affaire pour ne pas dépasser le chiffre fatidique, ils sont une minorité. L'immense majorité des auto-entrepreneurs ont trouvé dans ce statut un moyen de déclarer les revenus qu'il encaissaient au noir auparavant.
"Mais il semblerait que certaines entreprises en profitent pour inciter leurs salariés à se mettre à leur compte afin de les faire travailler comme sous-traitants."
Je ne vois pas où est le problème. Si les salariés en question sont suffisamment "mal informés" pour accepter une aberration pareille... Je ne vois pas en quoi ce fait remet en question le statut d'auto-entrepreneur.
"...les chômeurs n'ont plus guère d'autre choix que de tenter de se mettre à leur compte. Quitte à risquer leur patrimoine personnel dans l'aventure"
Quels risques y a-t-il ? L'auto-entrepreneur ne paye ses charges que sur les factures qui ont été honorées. Si on ajoute à ceci une déclaration d'insaisissabilité auprès d'un notaire, les risques sont proches de zéro.
Ce n'est qu'un avis personnel, qui vaut ce qu'il vaut, mais je suis persuadé que la majorité des auto-entrepreneurs qui exercent aujourd'hui n'auraient pas créé leur entreprise si ce statut n'avait pas existé. Ils seraient restés au chômage ou salariés d'un travail qui ne leur offre aucune satisfaction.
Je vous rejoins cependant sur un point : une auto-entreprise, malgré son extrême facilité de création, reste une entreprise. La simplicité administrative ne doit pas faire oublier qu'il faut se bouger pour faire "tourner la boutique"; les bénéfices ne vont pas couler à flots comme par miracle.
Je suis également d'accord avec vous sur le fait que ce statut est extrêmement injuste envers les artisans.
Merci Mr GAMBIER pour cet article. Il m'a permis de constater que l'esprit conservateur, propre à la France, et qui nuit beaucoup à celle-ci, a encore de beaux jours devant lui.
Rédigé par : Jérémie | 28 août 2010 à 22:23