Dans une note de la revue « esprit critique » de la Fondation Jean Jaurès (numéro 92 - juin 2009 - page 17),BENJAMIN FOISSEY nous fait découvrir cet ouvrage de Vincent Duclert, « LA GAUCHE DEVANT L’HISTOIRE.A LA RECONQUÊTE D’UNE CONSCIENCE POLITIQUE », Editions Seuil, collection Débats, avril 2009
« L’ambition que l’essai politico-historique de Vincent Duclert se donne ne peut qu’enthousiasmer bon nombre de militants socialistes qui ont vécu de près les renoncements, les luttes d’appareil parfois ubuesques, la « peoplelisation »,le terrain élevé au rang de totem et la réflexion à celui de tabou, le localisme prophétique...autant de dérives dont personne ne peut nier qu’elles portent une lourde responsabilité dans la crise actuelle du socialisme, autant de symptômes d’un mal plus profond, à savoir la dislocation du lien fondamental entre la pensée et l’action politique, entre le parti socialiste et les intellectuels qui furent pourtant une des clefs de son affirmation comme force politique profondément humaniste.
A ce mal, un remède prometteur,le retour à l’histoire politique débarrassée de la mythification, à cette histoire critique des grands combats, des grandes victoires et des grandes défaites du socialisme dont on peut tirer une leçon fondamentale riche en conséquences pour l’avenir; les luttes sociales sont indissociables, à défaut de se perdre, du combat pour les libertés fondamentales et la dignité de l’être humain. L’histoire comme source d’identité politique pour le socialisme français, le programme est vaste.
A cette lumière,l’auteur nous convie à une histoire intellectuelle de ces socialistes humanistes qui construisirent la conscience de la gauche malgré un certain nombre de lois d’airain au premier rang desquelles on trouve le caractère minoritaires de ces combats dans les appareils partisans.
Deux ennemis se dressèrent en effet sur la route de ces hommes, le dogmatisme idéologique d’abord, les logiques de pouvoir et d’appareil ensuite qui invitent avec tant d’aisance au renoncement.
Cette histoire commence à la fin du XIXème siècle, lorsque certains socialistes, principalement allemanistes, s’engagèrent dans la lutte pour la défense de la République au moment où nombre de radicaux et d’hommes très avancés à gauche, considérant que la Troisième République était devenu le pré carré soit des escrocs, soit de la bourgeoisie, soutinrent le général Boulanger ou du moins se réfugièrent dans une neutralité plus ou moins bienveillante à son égard.
Ce récit aurait gagné à commencer bien avant, ce socialisme humaniste d’inspiration souvent chrétienne, même s’il ne portait pas encore ce nom, fut par exemple celui de Lamenay puis du printemps des peuples. Le fil rouge réapparaît ensuite au moment de l’affaire Dreyfus, de la Première Guerre mondiale ou de la guerre d’Algérie. Chacun de ces rendez-vous historiques voit se manifester une gauche humaniste minoritaire et une autre sacrifiant volontiers au nationalisme faute de considérer les droits de l’Homme comme prioritaires. L’ombre de Déat plane naturellement sur cette dernière même si le lien n’est pas explicite. L’avant-garde intellectuelle s’oppose ainsi à une gauche d’appareil tantôt cynique, tantôt dogmatique et qui ne plonge dans l’histoire que pour y forger des mythes.
Cet essai laisse poindre ici son principal défaut, à savoir le fait de céder à une vision trop cyclique et mécanique de l’histoire, les temps héroïques comme les heures de gloire et les phases de marginalisation, très souvent liées à des processus d’unification du socialisme français, s’enchaînent avec un parallélisme gênantpour l’historien.
De même, les héros de ce récit, Lucien Herr, Jean Jaurès, Léon Blum, André Philip, Pierre Mendès France, Alain Savary et Michel Rocard s’opposent en des séries historiques parfois manichéennes à des coupables tels Jules Guesde, Guy Mollet ou encore François Mitterrand. Tout se passe comme si l’auteur cédait parfois à la vision mythique de l’histoire qu’il reproche à cette « première gauche », il élabore ainsi, pour ce qui devient après le discours de Michel Rocard à Nantes en 1977 la « seconde gauche », un grand récit au sens que Régis Debray donne à ce terme.
La prise en compte d’une des grandes dynamiques de l’histoire politique moderne de la France, à savoir le sinistrisme, aurait sans doute permis d’ajouter quelques nuances à ce tableau. Ces grands combats dont parle Vincent Duclert sont souvent le point de basculement d’une idée de la gauche vers la droite. L’Affaire Dreyfus marque ainsi le passage définitif du nationalisme de Valmy à celui de Maurras ou du « patrouillotisme » rimbaldien de certains républicains bleus, de la patrie des droits de l’Homme au fétichisme du sol. Le colonialisme de la même manière a été, et ce dans l’improvisation intellectuelle qui a marqué son apparition, porté en grâce et largement favorisé par la gauche saint-simonienne puis radicale, et ce au nom de l’humanisme. Ces idées ont pu être défendables à gauche, cela n’explique voire n’excuse cependant pas tout et nombre d’analyses critiques de l’auteur sur la gauche d’appareil sont pertinentes et fondées.
Le problème soulevé par ce livre, à savoir la défiance d’une gauche souvent majoritaire pour les intellectuels progressistes et leurs aspirations humanistes, dépasse très largement le cadre du parti socialiste ou du socialisme et touche bien plus à la manière de faire de la politique dans nos régimes. Les appareils partisans modernes n’ont la souplesse d’intégrer les intellectuels que comme producteurs de doctrine immédiatement utilisable, comme intellectuels organiques au sens Bourdieusien du terme et non pas comme les pièces maîtresses de la bataille culturelle tels que les rêvait Gramsci.
A défaut de cela, ils ne sont intégrés qu’à la marge, au mieux comme faire-valoir de comité de soutien. Ce fonctionnement est intrinsèquement lié à celui de la démocratie représentative moderne telle qu’elle a émergé en Europe au XIXème siècle et aux impératifs de l’appareil partisan weberien qui lui est attaché. On comprend ainsi pourquoi la construction de la SFIO et celle du parti socialiste conduisirent à une marginalisation de toute pensée qui n’était pas spécifiquement orientée vers la prise du pouvoir ou le maintien aux « responsabilités ».
Cette fonction d’intellectuel organique peut être mise en valeur par le champ politique mais elle est profondément dénigrée dans le champ universitaire, et ce au moins depuis l’émergence des pensées anti-totalitaires dites postmodernes, après que ce dernier a massivement fourni aux partis ce genre de penseurs. Vouloir se réconcilier avec les intellectuels sans les soumettre à ce type de tensions, c’est donc repenser non seulement les partis, ce qui est plus que jamais nécessaire, mais aussi la démocratie et son fonctionnement."
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