Si les premiers pas décisifs de la construction européenne se justifient aisément par l’aspiration à la paix et à la prospérité au lendemain des traumatismes des deux guerres mondiales, ces raisons ont perdu, non de leur pertinence, mais de leur éclat, même si certains pays ne l’oublient pas et ambitionnent de s’en rapprocher pour cela (Serbie, Ukraine, Géorgie, Moldavie,…).
Les raisons en faveur d’une Europe unie peuvent aujourd’hui être avancées selon trois approches, qui se complètent :
L’approche pratique ou l’Europe utile. C’est celle qui permet de travailler, consommer, circuler, investir et s’établir sur un même marché unique et encadré. Celle qui me permet d’avoir le choix d’une vaste gamme de produits dans mes achats. Celle qui permet de manger de tout dans chaque pays de l’Union sans (trop de) craintes sanitaires. De cofinancer une infrastructure publique. De réduire les coûts d’envoi de SMS. La liste d’exemples de bénéfices concrets et quotidiens pourrait encore être très longue. Le détour par le niveau européen de décision se justifie ici pour une meilleure protection du consommateur et des investissements, pour réaliser des économies d’échelle, pour mutualiser des coûts. C’est avant tout le pragmatisme qui guide l’intégration de l’Europe.
L’approche géopolitique ou l’Europe puissance. Assurer ses approvisionnements agricoles et en énergie, faire respecter et diffuser ses normes, surveiller la réciprocité dans ses échanges commerciaux, superviser ses banques systémiques, contenir la fuite de ses cerveaux, lutter contre des menaces extérieures communes (terrorisme, organisations criminelles,...), lutter contre le changement climatique, avoir une démarche cohérente, proactive et constructive dans ses relations avec son voisinage et se défendre sont des défis auxquels aucun État membre ne saurait faire face seul. Ils exigent de rendre l’Union européenne capable de les relever. Ce sont ici des intérêts stratégiques communs qui conduisent à une solide coopération européenne.
L’approche culturelle ou l’Europe référence. Ce qui distingue l’Union européenne d’autres exemples d’intégration régionale ne vient pas seulement du fait qu’elle en soit aujourd’hui la forme la plus poussée. Cela tient d’abord au relèvement de l’ennemi qui la fonde depuis l’origine, à une adhésion de chaque État libre et sans contrainte, au plus grand respect des petits pays, au souci de développer les régions appauvries ou à l’écart, à l’attention envers le continent africain exprimée dès le début.
Cela s’exprime également par le refus unanime de la peine de mort, condition pour rejoindre l’Union et qui répond à la primauté de la dignité de toute vie humaine, comme le reconnaît sa Charte des droits fondamentaux. Par rapport à d’autres régions du monde, l’Europe se caractérise aussi par la recherche de concilier dynamisme du marché et justice sociale, par celle aussi de s’unir tout en faisant valoir la richesse de sa diversité. Ces traits dépassent le seul cadre de l’Union européenne et se retrouvent à travers l’ensemble des pays qui en sont membres. Ce sont cette fois des valeurs partagées qui fondent la construction européenne.
Ces trois approches résumant le pourquoi de l’Europe ne reposent pas sur les mêmes ressorts. La première considère l’échelon européen, la deuxième, l’espace, la troisième, l’esprit. La première fonctionne pour le présent, la deuxième prépare l’avenir, la dernière porte les héritages du passé. La première est en chantier avancé, la deuxième prend encore ses marques et la troisième est latente mais le plus souvent s’ignore.
Ces trois raisons de faire l’Europe ne sont pas pour autant exclusives ou séparées l’une de l’autre. L’euro, par exemple, représente à la fois un moyen utile de paiement, un instrument de puissance et une référence identitaire partagée. Les motivations d’unir l’Europe ainsi se nourrissent et se complètent. Une Europe puissante vis-à-vis de l’extérieur a besoin d’une Europe fonctionnant efficacement en interne. Et une Europe puissante sert à faire valoir les valeurs sur lesquelles elle repose et à défendre la paix.
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